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Par Arthuria Dekimpe
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C’est pratiquement une légende du manga. Bakuman, Hikaruno Go, Platinum End et bien sûr Death Note… Au trait reconnaissable entre mille, Takeshi Ôbata est l’un des mangaka les plus connus et respectés dans le monde. Il est de retour cette année avec Show-ha Shoten! en binôme avec Akinari Asakura au scénario, jeune romancier en vogue au Japon et auteur de deux novelisations de l'Attaque des Titans. Comme dans Bakuman, le manga met en scène un duo de lycéens, un extraverti et un timide romantique, qui veulent se lancer dans une discipline artistique…sauf qu’ici ce n’est pas dans le manga, mais dans la comédie! Nous avons rencontré les auteurs à l’occasion de leur passage à Bruxelles.
Parlez-nous de la genèse de Show-ha Shoten!. Comment vous êtes vous retrouvés ensemble sur ce projet ?
Akinari Asakura: Au départ, j'avais eu envie de dessiner un manga sur l'humour, l'humour sur scène plus précisément. Et donc j'ai appelé la Shûeisha [le plus gros éditeur de manga, ndlr]et je leur ai proposé le projet en disant "voilà, j'ai ce genre de projet et j'ai écrit le scénario". Et c'est la Shûeisha qui m'a permis de rencontrer Ôbata-sensei en tant que dessinateur.
Ôbata-sensei,avez-vous accepté tout de suite la proposition?
Takeshi Ôbata : Après Bakuman j'avais fait quelques séries, et là je cherchais une œuvre à commencer ensuite. J'ai eu entre les mains le scénario d’Asakura-sensei. Et là, j'ai été étonné parce que c'était la première fois que je voyais un manga sur le manzai, c'était vraiment original. Et en lisant, j’ai trouvé ça très drôle et intéressant. Et donc je me suis décidé, je me suis dit que c’était l’œuvre sur laquelle je voulais travailler.
Justement, à propos d'humour, Show-ha Shoten!est un manga sur le manzai, un art que peu de gens connaissent.Alors qu'est-ce que c'est, le manzai ?
Asakura : Le manzai est une forme de spectacle d’humour où deux comédiens se produisent sur scène. Contrairement au stand-up, qui est un peu le standard dans d'autres pays, où une seule personne monologue debout, au Japon, le manzai met en scène deux comiques avec un micro au milieu. Il y a deux rôles clés dans le manzai : le boke et le tsukkomi. Le boke est généralement un personnage un peu ahuri et tête en l'air, tandis que le tsukkomi rectifie les propos du boke. Cette forme de comédie est très populaire au Japon, et il existe même un grand concours annuel de manzai à la télévision, une émission très suivie au point d’être devenue une sorte de tradition de fin d’année.
Les héros du manga visent le grand concours annuel de manzai UCB. ©2021 Akinari Asakura, Takeshi Obata/SHUEISHA Inc.
Asakura-sensei, vous avez vous-même fait du manzai quand vous étiez lycéen. Est-ce que vous avez toujours eu envie de raconter quelque chose sur ce milieu ? Y a-t-il une part autobiographique dans Show-ha Shoten ?
Asakura : Je ne me suis pas dit dès le départ que je voulais dessiner un manga sur l'humour. Mais effectivement, il y avait une période où j'avais fait partie d’un duo de manzai [avec Jumbo Takao, devenu comédien de manzai professionnel, ndlr], et je m'étais dit que ce serait drôle si je devenais professionnel du rire. Mais en même temps, j'avais aussi envie d'écrire des histoires, c'est quelque chose qui me plaisait beaucoup. Et donc je me suis posé la question, qu'est-ce qui me correspond le mieux ? Qu'est-ce que j'ai vraiment envie de faire ? Et finalement, j'ai conclusque c'était quand même d'écrire des histoires. Donc je pense que dans le manga se reflète un peu une part autobiographique et un peu de mon expérience. Mais je n'écris pas du tout ce qui m'est arrivé. Ce n'est pas ma vie, mais il y a peut-être une part.
Comment se passe votre collaboration sur Show-ha Shoten! au quotidien ? Comment se répartissent les tâches entre vous deux ?
Asakura : C'est d'abord moi qui réfléchisau squelette de l'histoire. Ensuite, je vais voir mon tantô, mon éditeur attitré, nous discutons. Et s'il est d'accord, je dessine le nemu, qui est le story-board, un découpage des cases. Mais même si je dessine très mal, j'essaie de dessiner pour que ce soit compréhensible. Ensuite, Ôbata-sensei reçoit le nemu, il y apporte ses corrections, et ça prend la forme de planche.
Le découpage d'une planche de Show-ha Shoten! d'Akinari Asakura ©2021 Akinari Asakura/SHUEISHA Inc.
Le manzai, c'est un art vivant avec des intonations, des pauses. Comment est-ce que vous arrivez à retranscrire ça sous forme de dessins ?
Ôbata : En fait, quand je reçois les nemu d’Asakura-sensei, notamment les scènes de manzai, elles sont vraiment très drôles. Donc d'abord je les lis, et j'éclate de rire! Je suis plié de rire car malgré ses dessins qui ne sont pas très beaux, ils sont tous vivants. On sent vraiment que la scène de manzai est vivante. Donc moi, dans mon rôle de dessinateur, jefaisattention aux dispositions des dessins, pour que les répliques des gags soient mises en avant, et pour retranscrire la notion de vitesse et de rythme. J’essaye vraiment de faire ressentir cette ambiance.
Êtes-vous surpris d'être en Belgique aujourd'hui pour venir parler d'un manga sur le manzai, inconnu chez nous ?
Asakura : En fait, dès le départ, j’avais pleinement conscience que le manzai était un art très japonais. Donc je dessinais en me disant qu’il fallait d'abord attirer les lecteurs locaux, et je voulais vraiment que ce manga leur plaise. Ça a été une surprise d’apprendre qu’il puisse être adapté à l’international, alors je suis très content et honoré d'être invité ici.
Ôbata : Je suis heureux que les personnes du monde entier apprécient ce que les Japonais trouvent drôle. Et quand j’ai vu des œuvres qui avaient du succès au Japon, notamment Goldorak, cartonner ici, j’ai compris qu'il y a quand même un engouement à l'étranger. Je me dis c'est bien et ça fait plaisir que des personnes hors du Japon aiment et trouvent drôles les mêmes choses. Quand on peut partager ça, j'en suis content.
Ôbata-sensei, vous êtes une vraie star du manga avec beaucoup d'expérience, alors j'imagine qu'il doit y avoir quand même une certaine pression quand on se lance dans un nouveau projet, dans quelque chose d'original?
Ôbata : Oui, on peut dire ça, et particulièrement sur Show-ha Shoten! que je dessine aujourd'hui. Le thème c’est faire de l'humour, les ficelles du comique, donc c'est différent d'un gag-manga. Ici, on voit comment les manzaishi, les comédiens préparent tout cela, et les difficultés auxquelles ils font face. Et quand ils sont sur scène, on voit les spectateurs qui rigolent des sketches, et c’est ça qui est drôle, les réactions du public. Donc en tant que dessinateur, il faut absolument que je rende ça intéressant pour le lecteur, et ce n’est pas évident, c’est même un vrai défi!
La métaphore visuelle permet de rendre visible et dynamique l'ambiance de la salle sur une planche figée. ©2021 Akinari Asakura, Takeshi Obata/SHUEISHA Inc.
Asakura-sensei, quand vous vous lancez dansun roman, vous aimez bien planifier toute l'intrigue à l’avance avant de commencer l’écriture. Or, on le sait si on a lu Bakuman, dans le système d'édition au Japon, un manga peut être arrêté du jour au lendemain sisa popularité est en baisse. De ce fait, savez-vous déjà comment Show-ha Shoten! va se conclure ?
Asakura : Effectivement, je peux dire que je vois à peu près comment ça va se terminer. En fait chez moi, j'ai un tableau blanc avec des mémos accrochés avec des aimants où je note les scènes, et comme ça, j'ai une vue globale de l'histoire, avec la scène de fin en bas à droite dans le tableau. Comme je suis quelqu'un de très pessimiste, j'ai toujours en tête l’éventualité de l’uchikiri, la fin brutale. Donc j’ai imaginé des scénarios alternatifs: si on me dit que ça va s'arrêter ici, je vais terminer comme-ci, si on me dit que ça va s'arrêter maintenant, je vais arrêter là, je conclurai comme-ça, etc. Àchaque étape, j'ai prévu une manière de finir l'histoire.
Alors évidemment, mon tantô me dit “Ne t'inquiète pas pour ça, ce n'est pas la peine!” mais j'ai toujours cette peur, en fait, quelque part dans mon esprit, de me dire que ça peut s'arrêter à tout moment. Et donc je suis obligé de maintenir l'œuvre dans un niveau d'intérêt vraiment très important pour que ça continue. En fait, quelque part, ça peut être moteur, car ça me pousse à faire beaucoup d'efforts. L’uchikiria un côténégatif et un côté positif.
Ôbata-sensei, le milieu du manga est connu pour le rythme infernal imposé aux auteurs et aux assistants. Vous disiez vous-mêmeen 2008 que vous dessiniez 80 pages par mois. Or, aujourd'hui, on entend de plus en plus que les jeunes Japonais ne veulent plus sacrifier leur vie privée pour le travail, même si c'est un travail-passion. Est-ce que vous ressentez la même chose ? Dessinez-vous toujours autant qu'avant ?
Ôbata : Non, effectivement, je ne dessine plus la même quantité de pages qu'autrefois (rires). Moi, je suis quelqu'un qui aime dessiner, ça me plaît beaucoup. Je pense que les mangaka aiment vraiment ce qu’ils font, et c'est comme ça en fait, que finalement, ils produisent de plus en plus de pages. Alors c'est vrai qu'il y a quand même les contraintes des hebdomadaires, ça existe. Mais je pense que les auteurs écrivent autant parce qu’ils en ont envie.
On apprend beaucoup sur l'aspect technique de l'humour dans Show-ha Shoten! ©2021 Akinari Asakura, Takeshi Obata/SHUEISHA Inc.
Dans Show-ha Shoten!, Azemichi et Taiyô choisissent de poursuivre leur voie dans une discipline artistique, malgré les avertissements de leur entourage et la pression sociale. Alors vous-même, qui êtes artistes, diriez-vous aux gens qui nous lisent et qui voudraient le devenir, ou à vos propres enfants, "Allez-y, arrêtez vos études et lancez-vous"? Vous les encourageriez ?
Asakura: En tant que romancier et mangaka, j'ai mis beaucoup de temps à percer suffisamment pour que mes œuvres me permettent d’en vivre. Donc je sais tout à fait ce que c’est, parce qu’autour de moi, quand ça n'allait pas, il n'y avait en fait pas une seule personne qui m'ait dit "Bon, vu, la situation, tu devrais peut-être arrêter de poursuivre ton rêve". Pourquoi? Parce que les personnes de l'entourage trouvent ça plaisant d’avoir autour d'eux un sportif de haut niveau, ou bien un chanteur, ou un romancier… quelqu’un qui poursuit un rêve. Mais c'est totalement irresponsable d'encourager comme ça, parce que ça met beaucoup de pression sur les épaules. Ça peut être extrêmement difficile à vivre.
Donc moi, quand je vois quelqu'un qui veut vivre de sa passion, j’évite de le pousser comme ça, juste parce que je trouve ça sympathique ou chouette de l'encourager. J'essaye vraiment d’examiner la situation à froid et d'encourager quand c'est nécessaire.
Ôbata: Moi je pense que je lui dirais de renoncer à son rêve, peut-être une, deux fois. Et puis si, malgré tout,la personne persiste, je lui dirais "Bon, bah fais ce que tu veux!" (rires). Et puis bon, pour ce qui est des études, "étudie si tu en a envie", voilà.
Les vrais héros n'abandonnent jamais. C'est ça, l'esprit shônen ! ©2021 Akinari Asakura, Takeshi Obata/SHUEISHA Inc.
Les personnages de Show-ha Shoten! sont très expressifs, pas seulement sur scène mais aussi dans le manga. Or on a plutôt l'impression que les Japonais essaient en général au maximum de dissimuler leurs émotions. Il y a un mot pour ça en japonais, tatemae. Est-ce que vous voyez le manga comme une forme de catharsis, un moyen de faire ressortir ces émotions refoulées ?
Ôbata: C’est une question difficile…(rires). Ce n’est pas quelque chose que je ressens consciemment. Je pense surtout que dans le monde du manga, on a beaucoup de liberté. Donc je dessine, naturellement, sans contrainte, et c'est comme ça que les personnages deviennent si expressifs.
Certaines planches de Show-ha Shoten! sont à se tordre de rire ©2021 Akinari Asakura, Takeshi Obata/SHUEISHA Inc.
Une question plus légère pour terminer. Ôbata-sensei, est-ce que vous vous reconnaissez dans les personnages du manga ?
Ôbata: Alors si on parle des deux personnages principaux, c'est vrai que je peux être très impressionné et très réservé, donc on pourrait penser que je suis plutôt Azemichi. Mais en fait, j'ai aussiun côté où je fonce etj'agis sans réfléchir. Donc je pense qu'au niveau du caractère, je suis plutôt Taiyô !
Show-ha Shoten!, par Akinari Asakura & Takeshi Ôbata, tomes 1 à 3 disponibles aux éditions Kana. ©2021 Akinari Asakura, Takeshi Obata/SHUEISHA Inc.
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